Nuit Blanche CCS Live
,Centre Culturel Suisse (Librairie) (Paris)
01.10.2016
Inciser le réel
Buvette & Maya Rochat
Maya Rochat use de l’acte photographique tout en le poussant dans ses retranchements les plus reculés.
Alors qu’elle s’est formée à la photographie, Maya Rochat semble vivre avec elle une relation amoureuse houleuse, basée sur une confrontation perpétuelle ou elle et son médium lutte chacun pour trouver sa place dans le couple. Il paraît tout aussi difficile d’évoquer le travail de l’artiste et son examen du réel d’un point de vue univoque basé sur une conception réductrice mais tenace de la photographie. Dès la diffusion à large échelle du procédé dans les années 1850, la photographie s’est retrouvée captive de son rôle de pourvoyeur de traces du réel dans le champ de la représentation. De la science à l’art, de la fiction au reportage, tout un ensemble de disciplines et de genres se sont développés, notamment à travers l’ère de la modernité, sur la confiance et la croyance alors clairement ontologique que ce qui est photographié est le réel
Tout un pan de la construction des images et de nos représentations visuelles s’est ainsi basé, fixé sur cet effet de croyance et de fidélité. Nous savons aujourd’hui que ceci est illusoire dans la mesure ou, notamment par le développement technologique du médium de l’argentique au numérique, il est désormais admis que la photographie étant le résultat d’un dispositif optique, c’est notre regard qui concède à la photographie un quotient de réalité.
Accompagnant ce constat, Maya opère dès lors une dématérialisation du médium au profit de l’expérience cathartique sublimant les pulsions et donnant formes aux instincts émancipateurs. La déconstruction méthodique de la photographie se fait à l’instar d’une lame de fond : puissamment, de manière imprévisible mais déterminée. Pas de lâcheté non plus dans l’acte. Maya réalise elle encore toutes les prises de vue initiales avant de leur faire subir les affres de la transmutation. Déchirées, découpées, superposées, recomposées, entremêlées puis peintes, sprayées, lessivées à la javel, une véritable séance de torture est offerte à chaque image. Au final, ce n’est pas tant la destruction de la photographie qui est recherchée qu’une nouvelle délimitation territoriale de celle-ci en vue d’une expansion quasi invasive sur les territoires rivaux des arts visuels et de l’installation. Bien loin des expériences des pictorialistes des années 1900 et des surréalistes, Maya conserve cependant de ces illustres prédécesseurs la même envie de dénoncer l’idée d’un « réel photographique » au profit d’une conception favorisant davantage l’idée de construction dans l’acte photographique.
C’est peut-être dans cette idée que la coupe, ou incision, devient un geste emblématique de son travail. Il est vrai que le geste de la coupe est inextricablement lié au médium lui-même. Dès lors que le cadrage est opéré, que l’obturateur s’est refermé, une fraction du réel se retrouve détaché de ce qui l’entoure. La coupe indique dès lors l’ensemble par le fragment qui devient une architecture de l’évocation. Maya l’a bien compris en tailladant allégrement le réel afin de le réduire à sa substance la plus minime mais aussi expressive. Les corps et les paysages ainsi violentés survivent alors dans leur identification bien que recouvert de couleurs vives et saturées et fréquemment associées les une aux autres dans des jeux d’installations ou murs et images se répondent non sans n’en faire qu’un mais en s’insinuant les uns dans les autres. Ces gestes, aussi brutaux qu’ils paraissent, ne sont que le moyen trouver par Maya pour faire entrer ce réel bien trop grand dans l’image. Et ce si grand, qu’il déborde de toutes parts. Il en a notamment été ainsi lors de son exposition Too Much Metal For One Hand à Quai n.1 à Vevey ou lors des Prix fédéraux à Bâle au mois de juin où dans chacun de ces cas, l’image « s’effondre » du mur sur le sol et s’affranchit autant de la pesanteur que du mur.
A l’occasion de son intervention au Centre culturel suisse de Paris, Maya propose un « one-shoot » qui consistera à vivifier les images qu’elle aura préalablement disposées dans l’espace. Si la peinture fusionnera à nouveau avec la surface lisse des tirages, la musique viendra contribuer à créer une expérience immersive proche d’une Gesamtkunstwerk. L’image se réduit alors dans ce cas de figure à une trame de base mise en mouvement cette fois-ci par les ornements mélodiques et les syncopes rythmiques.
Marco Costantini est conservateur au mudac à Lausanne et enseigne à l’ECAV, école cantonale d’art du Valais.